Resumé |
Déjà dans les Études sur l'hystérie de 1895, Freud a reconnu la particularité des histoires de cas qu'il a exposées dans ce livre¿; en pénétrant profondément dans la vie affective des individus, elles semblent s'approcher du genre fictif et être «¿privées de l'empreinte de sérieux de la scientificité¿». Or, c'est en bénéficiant, par recours à la technique particulière, de la valeur épistémique de ces histoires que la psychanalyse s'est réclamée être une science. Mais alors, comment une telle méthode scientifique pouvait-elle se constituer au moment où les neuropathologues ont été formés «¿aux diagnostics locaux et au pronostic électrique¿», comme Freud a avoué qu'il l'avait été lui-même¿? Les réflexions sur cette phase initiale de la technique sont d'autant plus significatives qu'elles clarifieront la condition des pratiques psychanalytiques elles-mêmes. Notre thèse vise à répondre à cette question, en mettant l'émergence de la technique analytique dans les contextes scientifiques et culturels de son temps. En partant de ce que Jean Starobinski a autrefois nommé la « pathologie réactionnelle », notamment des recherches de Jean-Martin Charcot expliquant la paralysie hystérique par la réaction à un événement traumatique, nous tracerons d'abord la voie qui aboutissait à la compréhension du symptôme hystérique comme surdéterminé par une série des événements, avancée dans les Études sur l'hystérie par Josef Breuer et Sigmund Freud. Nous verrons ensuite le développement du dispositif particulier exigé par cette mise au point sur l'« histoire », produisant les « preuves » sur l'authenticité des récits des patients sur leur vie.Cette décomposition du symptôme en histoire constitue d'ailleurs la condition du rapprochement très tôt effectué entre la psychanalyse et le théâtre. En examinant les discours interdisciplinaires de l'époque sur la notion de la « catharsis », nous élucidons sur quelle tradition littéraire cette mise en histoire de la vérité subjective par la psychanalyse s'alignait. Enfin, nous mettons sur le tapis les diverses positions au sein du premier mouvement psychanalytique sur le « transfert » comme moyen pour découvrir les fragments historiques cachés du patient ; la formulation dans les années 1910 de la technique « classique », qui postulait l'« abstinence » de l'analyste tout en accordant de la valeur épistémique au transfert, se comprend comme la condition optimale pour assurer la production des «¿preuves¿» inhérentes au processus du traitement analytique |