Victime de la force ; force de la victime : le problème politique de la victime à la lumière du conflit colombien
Victim of force; force of the victim : the political problem of the victim in the light of the Colombian conflict
par Lucas Andrès RESTREPO ORREGO sous la direction de Marie CUILLERAI
Thèse de doctorat en Sciences politiques. Philosophie politique
ED 624 Sciences des Societes

Soutenue le lundi 13 juillet 2020 à Université Paris Cité

Sujets
  • Biopolitique
  • Colombie
  • Conflits sociaux
  • Justice transitionnelle
  • Politique et gouvernement -- Colombie -- 20e siècle
  • Réparation (droit)
  • Victimes

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Mots clés
Gouvernementalité
Resumé
On dit de notre temps que c'est l'âge de la victime. L'importance de leur rôle dans l'établissement des faits criminels, leur témoignage à l'encontre des crimes de masse, leurs souffrances intolérables, semblent étayer le chemin de la reconstruction d'une nouvelle humanité réunie autour du rejet de la douleur injuste. De provenance judiciaire lors du développement du droit assurantiel, la figure de la victime dépasse aujourd'hui son cadre d'émergence comme sujet de réparation du tort. Ce débordement de la scène judiciaire semble être l'effet d'un « renversement anthropologique » consistant dans le rejet de la douleur du sacrifice d' « un » au nom de « tous » et dans la prise en charge des souffrances comme objet politique prééminent. On rejette aussi bien les crimes contre l'humanité, que les agressions ménagères, aussi bien les crimes de guerre, que les violences de rue. Par la reconnaissance de la victime, on est devenus plus empathiques envers les autres à travers leurs souffrances. C'est le point d'ancrage pour une nouvelle humanité basée sur le rejet de l'injuste. La victime apparaît comme figure dépassant le cadre purement juridique lorsqu'elle vient occuper une place spécifique dans les espaces du politique, comme porteuse d'un message du passé pour le présent et pour le futur. En ce sens, elle engage une forme de gouverner : elle introduit le problème de la « fragilité » et de la souffrance comme voies de reconstitution d'une humanité déjà trop déchirée par ses différences. En ce sens, elle ne représente aucun renversement : elle est le développement d'un mode de pouvoir qui a dans la vie son objet privilégié. Notre travail tente de montrer, d'abord, que la victime, plus qu'un individu reconnu comme tel, est une manière de prendre en charge la vie, comme objet politique, depuis son aspect productif (faire d'une vie une vie vivable) mais aussi depuis son aspect improductif : arrêter, fixer, bloquer la possibilité que dans les résultats des violences de nouvelles forces puissent se déployer. Nous avons voulu retrouver le point où les puissances d'État, de guerre et de totalisation économique de la vie s'emparent de la question des victimes pour en faire un facteur d'accumulation. Au fond, il s'agit de mettre en lumière le point où la « reconnaissance des victimes » frôle, par la conjuration des effets subjectif des violences, les processus d'ascension vers la destruction de la politique elle-même. Notre apport prétend mettre en évidence que la fragilité se trouve, non pas du côté des victimes, mais du côté des positions théoriques volontaristes à leur égard, ainsi que du côté de la fausse route du consensualisme. Notre exemple privilégié, c'est le conflit colombien. La spécificité de ce « lieu » de problématisation nous permet de faire le lien entre les aspects les plus expressifs, présents dans cette nouveauté politique qu'est la victime. Le « néolibéralisme », la « violence », mais aussi la « justice » et la « transition », sont les topiques de cet examen, qui trouve dans les nouveaux dispositifs sécuritaires et humanitaires, le cadre stratégique de la problématisation politique de la victime. Or, comme tout dispositif de pouvoir, même à la limite de sa constitution comme puissance de destruction, dans les interstices se jouent les dissensions qui permettent le réengagement des batailles à venir. Notre conclusion : ce n'est pas l'excès, mais plutôt le manque de conflit qui fait de la victime cette relique que le pouvoir porte comme symbole de son pouvoir.