Resumé |
Durant la première moitié du quatorzième siècle, la philosophie scolastique va engendrer une science mathématique nouvelle, celle de la latitude des formes, de la variation des formes entre les degrés de leur intensité. Un appareil logico-mathématique complexe est rapidement élaboré pour surmonter des problèmes de variations et taux de variations, de moyennes et de limites. La nature imaginaire sinon fantasque des problèmes approfondis à l'aide de ces méthodes nouvelles peut créer l'illusion qu'il y aurait chez ces auteurs scolastiques une indifférence au réel, abandonné à la faveur des subtilités d'une logique abstraite. C'est pourtant un tout autre visage que montre l'apogée de ce mouvement, le Traité des configurations des qualités et des mouvements de Nicole Oresme, composé autour de 1350 à Paris. L'intuition géométrique éclaire soudain l'aridité logique, l'imaginaire parcourt avidement le monde de merveilles en merveilles : la nouvelle mathématique voit la magie dans la nature. La thèse que je défends est que l'objet mathématique nouveau révélé par Oresme, une intensité qui s'étend dans l'espace et le temps, une « configuration », n'est pas un simple outil technique commode : il exprime sous une forme pure une manière nouvelle et partagée d'envisager l'art, la nature et la surnature. Sa science ne s'ajoute pas à celles sur lesquelles elle se fonde, mathématique du nombre et de la grandeur, physique du contact et de la puissance, mais les transforment de l'intérieur, comme la polyphonie dépasse le plain chant. Analogie dictée par le texte : la nouvelle science explique le nouvel art naissant, elle s'accomplit dans une nouvelle vision harmonique du monde où formes et difformités se mélangent et se tempèrent mutuellement. Cette thèse doit donc être comprise comme un essai pour expliquer une révolution mathématique comme l'expression d'une mentalité qui tâtonne dans les autres champs de la culture humaine. Mais parce qu'Oresme tisse lui-même ces liens au fil du traité, il était important de faire le contraire de ce qui avait été généralement fait, la segmentation du texte, et de lire le traité dans toute son unité, pour saisir la signification de cette science si moderne et si étrange. |