Mots clés |
Troubles bipolaires, Traumas dans l'enfance, Rechute, Comorbidités anxieuses, Comorbidités addictives, Expression génique, Hpa, Stress, Système circadien |
Resumé |
Le trouble bipolaire (TB) est une pathologie fréquente (1 à 3% de la population générale), chronique, récurrente et handicapante. Les patients, même sous traitement, présentent en moyenne un épisode tous les 18 mois. Les traumatismes affectifs dans l'enfance (TE) sont fréquents en population générale et peuvent être évalués par le CTQ (Childhood Trauma Questionnaire) qui recense et cote l'intensité de 5 sous-types : abus émotionnel (EA), physique (PA), et sexuel (SA) ; et négligences émotionnelle (EN) et physique (PN). Les TE sont retrouvés plus fréquemment chez les adultes avec TB, ce qui suggère qu'ils participent au développement du TB, et ils sont également associés à des formes cliniques plus sévères et complexes, et à un pronostic moins favorable. Les TE sont susceptibles de perturber de nombreux systèmes biologiques, dans leur fonctionnement et leur régulation, avec notamment des altérations de leurs niveaux d'expression. Les systèmes potentiellement altérés sont principalement ceux de l'axe HPA (axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien) de réponse au stress, la voie des neurotrophines dont le BDNF, les gènes circadiens impliqués dans l'horloge biologique, les systèmes de la neurotransmission et de l'immuno-inflammation. Ce travail a exploré de manière prospective l'association entre les TE et la rechute thymique dans le TB au sein d'une cohorte de 2000 patients avec une durée médiane de suivi de 22.3 mois. Les analyses univariées montrent que les TE, notamment tous les sous-types d'abus (EA, PA et SA), étaient significativement associés à une rechute plus précoce (tous les p<0.001). En incluant les potentiels facteurs confondants, l'association entre l'abus physique et le délai avant la rechute restait significative (HR=1.05 [1.02-1.09] ; p=0.0045). Les facteurs confondants contribuant également à une rechute thymique plus précoce étaient le nombre d'épisodes thymiques antérieurs, les symptômes résiduels dépressifs ou hypomaniaques, un traitement actuel par antidépresseurs ou antipsychotiques atypiques. Nous avons également étudié le lien entre comorbidités psychiatriques et TE dans une cohorte de 3000 patients avec TB. Dans cette cohorte, les 6 comorbidités les plus fréquemment retrouvées étaient les suivantes: tentative de suicide (39%), mésusage d'alcool (25%), de cannabis (19%), troubles du comportement alimentaire (18%), trouble anxieux généralisé (15%) et phobie sociale (14%). La plupart des 11 comorbidités recensées (essentiellement anxieuses et addictives) étaient plus fréquentes et plus actives chez les patients présentant un TE sévère (quartile le plus élevé au CTQ). Sur le plan moléculaire, nous avons étudié, grâce à des analyses de réseau de co-expression, plusieurs gènes candidats impliqués dans les processus biologiques dont le fonctionnement est suggéré comme altéré par les TE. Ces analyses ont montré que l'exposition aux TE modifie significativement l'expression relative des transcrits de 3 voies biologiques d'intérêt : l'axe HPA (EA étant associé à la diminution d'expression de DGKH et NR3C1); les gènes circadiens (l'expression de PPARGC1A était significativement affectée chez les patients avec antécédent de trauma, et en particulier PA), et la voie du BDNF (EA modifiant significativement l'expression relative de NGFR et SA, celles de SORT1 et NGFRAP1). L'ensemble de ces résultats s'inscrit dans la perspective d'une meilleure compréhension des effets à long terme des TE, à la fois sur le plan clinique et moléculaire, chez les patients atteints de TB. Ces résultats pourraient participer au développement d'une médecine personnalisée permettant des stratégies de prise en charge plus intensives et/ou une surveillance accrue de ces patients exposés aux TE, notamment via la prévention d'un risque augmenté de rechute et la prise en charge de leurs comorbidités psychiatriques. |