Mots clés |
Médecine narrative, Éthique narrative, Narration, Philosophie, Mucoviscidose, Adolescence, Transplantation pulmonaire, Greffe, Décision, Autonomie, Identité |
Resumé |
La lecture de la littérature scientifique nous permet d'établir que « les vécus et les représentations de la transplantation pulmonaire chez les adolescents atteints de mucoviscidose » sont méconnus. A l'heure où la réussite de cette intervention peut faire question (50% de taux de survie à cinq ans) et où des soignants ont pu constater le suicide d'une adolescente qui avait bénéficié d'une greffe, il nous a semblé intéressant de proposer une enquête d'une nature narrative et philosophique tout à fait nouvelle. Mais comment le philosophe peut-il sortir des comités d'éthique et des centres d'éthique clinique pour aller à la rencontre des patients ? Notre thèse cherche à distinguer cette approche philosophique des rares textes psychologiques, psychiatriques et psychanalytiques qui existent sur la question. Dans cette perspective, nous nous appuyons sur les travaux du philosophe américain Richard Zaner. A partir de ses expériences auprès de patients à Nashville, notre travail tente de montrer qu'il est possible au philosophe français d'utiliser son questionnement singulier, sa tendance à conceptualiser, et les ressources de sa discipline, pour livrer une analyse novatrice des vécus et des représentations de ces adolescents. En nous livrant, comme Zaner, à des « rencontres philosophiques » dont les discussions ne seraient pas guidées par des questionnaires directifs ou semi-directifs qui orientent souvent les réponses, nous pensons que nous pouvons fournir un travail scientifique et philosophique à partir des dires des patients. Notre travail s'inscrit dans ce que nous appelons aujourd'hui « l'éthique narrative ». De nature pluridisciplinaire, elle peut être pratiquée par des philosophes qui partent des récits de patients pour philosopher d'une manière nouvelle. Le philosophe a coutume de se situer sur le terrain du « principalisme » pour réfléchir sur la réalité médicale. Notre travail s'est efforcé de proposer, non pas une démarche de « haut en bas », mais de « bas en haut », de la réalité à l'analyse philosophique. Pour cela, nous sommes allés à la rencontre des patients pour éprouver (au sens de « faire l'épreuve ») notre hypothèse méthodologique. Nous avons tenté de mettre en oeuvre un travail collaboratif avec les soignants pour parvenir à des échanges fructueux avec les patients. A partir des rencontres avec les jeunes patients sur le thème de la transplantation, mais aussi sur un certain nombre de notions philosophiques, nous avons cherché à saisir les conceptions de l'existence de ces adolescents, ainsi que la place que pouvait y tenir la transplantation. Est-elle une rupture, une continuité ou une nouvelle « normativité » pour ces jeunes atteints de mucoviscidose ? La littérature classique sur la transplantation pose au centre des questions éthiques et existentielles, la question du sentiment de culpabilité et de la dette à l'égard du donneur, ainsi que celle de l'identité bouleversée du receveur, mais partir du vécu et des représentations des patients confirme t-il cela ? Le principe d'autonomie est-il aussi au centre des difficultés éthiques de cette pratique ? Le but de ce travail est de contribuer à ce que Pierre Le Coz appelait le « moment philosophique de la décision », ce moment critique et réflexif à distance d'une décision médicale. Notre approche propose ainsi une connaissance de l'individu qui doit nourrir les réflexions sur la décision médicale de transplantation. Nous ne pouvons figer une connaissance de l'individu, mais nous pouvons mettre en évidence la nécessité d'un aller et retour incessant allant de l'individuel au général, de la maladie vécue aux exigences de la pratique médicale. Revenant aux origines de la philosophie conçue d'abord comme une pratique orale, ce travail cherche à concilier l'usage d'une méthode qu'on pourrait qualifier de « phénoménologique », et des ressources conceptuelles et des questionnements qui débordent ce cadre de pensée. |