Resumé |
La pratique médicale en milieu carcéral doit faire face à une contradiction qui va droit au cœur de la réflexion éthique: tandis que la médecine vise à soulager la souffrance, la prison l'impose. Pour dépasser cette contradiction on peut envisager deux solutions. La première réside dans une sorte de compromis: le professionnel de santé, face aux règles contraignantes de la prison, doit faire exception à ces règles chaque fois que l'exercice en milieu carcéral met en danger le statut éthique de son engagement professionnel. C'est donc la médecine qui doit s'adapter à la prison. La seconde solution, à travers une analyse critique du sens de la peine et de la réalité carcérale, se fonde sur la constatation que la prison est une institution qui, comme toute institution dans un Etat de droit, est soumise à un processus de transformation en institution juste. Les professionnels de santé, en vertu de la capacité de la médecine de se donner une perspective éthique, peuvent contribuer à cette transformation. Dans cette optique c'est la prison qui doit alors s'adapter à la médecine. Le parcours démonstratif pour valider cette seconde solution, qui est au centre de notre thèse, s'est révélé long et compliqué. Paul Ricœur, avec sa «petite» éthique, nous a fourni la plateforme de départ. En approfondissant ses concepts d'éthique, (la perspective de la vie bonne), de morale, (le royaume des normes), d'institution (la structure du « vivre - ensemble » d'une communauté historique, donc l'ensemble des conditions et des dispositifs de coopération et de solidarité qui fondent une communauté et en assurent la continuité temporelle), on a pu bien comprendre pourquoi médecine et droit jouissent de l'appellation d'institution. La notion d' « activité contre » assimile la médecine au droit, tous deux étant engagés contre le mal: ce qui ne devrait pas être. A partir de l'idée de respect de la personne, leurs similitudes se sont révélées si nombreuses qu'on peut parler de consubstantialité. Une fois démontrée une cohérence épistémologique entre la médecine et le droit, qui reconnaît dans l'amour pour le prochain son expression la plus noble, restait à savoir comment concilier la peine, et son poids de souffrance, avec la vraie nature du droit. Une donnée s'est révélée très explicative: au fil du temps la médecine a fourni le modèle à toutes les théories de la peine. En effet, les concepts de prévention, de thérapie, de restauration s'y trouvent intimement mêlés. La prison étant, tour à tour, l'expression de ces concepts, la médecine peut légitimement donner à la prison une perspective éthique fondée sur le respect de la personne. En plaçant le respect de la personne, même coupable, au centre de l'institution carcérale, le droit aussi est à même de prendre place au sein de la prison. Quant au rôle des professionnels de santé, il ne s'agit pas de médicaliser la prison mais de l'humaniser. Tels sont les enjeux éthiques de la médecine en milieu carcéral |