Resumé |
Les inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHi) sont des fongicides utilisés pour lutter contre la prolifération de champignons pathogènes dans les cultures de céréales, les fruits et les légumes. Leur mode d'action repose sur le blocage de l'activité de la succinate déshydrogénase (SDH), une enzyme présente dans toutes les espèces possédant des mitochondries. La SDH participe à deux processus métaboliques interconnectés pour la production d'énergie 1) la respiration cellulaire, où elle permet le transfert des électrons vers l'ubiquinone en tant que complexe II de la chaine respiratoire des mitochondries, et 2) le cycle de Krebs, où elle catalyse l'oxydation du succinate en fumarate. Chez l'être humain, les déficits héréditaires en SDH sont une cause d'encéphalopathies et de cancers. Les mécanismes cellulaires et moléculaires liés à l'inactivation génétique de la SDH ont été bien décrit dans des tumeurs neuroendocrines, où elle induit un stress oxydatif, un phénotype de pseudohypoxie, un remodelage métabolique, épigénétique et transcriptomique, et des modifications des capacités de migration et d'invasion des cellules cancéreuses, en lien avec l'accumulation de succinate consécutive à l'inactivation de la SDH. L'analyse des données de la littérature montre que l'impact des SDHi sur la santé reste largement inexploré à ce jour, malgré un nombre croissant d'études faisant état d'effets toxiques dans des organismes non cibles. Ceci est corroboré par un travail récent mettant en évidence 1) le haut degré de conservation du site catalytique de la SDH au cours de l'évolution (site de liaison des SDHi) et 2) la capacité des SDHi à inhiber la SDH dans les mitochondries d'espèces non cibles, dont l'être humain. Ces observations montrent que les SDHi ne sont pas spécifiques de la SDH des champignons et que leur utilisation pourrait constituer un risque pour la santé humaine, notamment dans le cadre d'une exposition chronique via l'alimentation. De plus, l'analyse des rapports d'évaluation réglementaire montre que la plupart des SDHi induisent des tumeurs chez l'animal sans preuve de génotoxicité. Ainsi pour ces substances, les mécanismes de cancérogénicité ne sont, à ce jour, pas clairement établis. Le présent travail s'inscrit dans une démarche visant à générer de nouvelles connaissances sur l'impact d'une exposition aux fongicides SDHi, en explorant des mécanismes de toxicité non évalués par les processus d'évaluation réglementaire actuels. Les objectifs de cette étude ont été d'étudier les effets d'expositions aiguës ou subchroniques à 3 SDHi (boscalid, bixafen et sedaxane) sur les fonctions cellulaires et mitochondriales, et sur le métabolisme de cellules épithéliales coliques non cancéreuses et cancéreuses, en relation avec leurs phénotypes morphologiques et migratoires. Dans les cellules coliques humaines non cancéreuses HCEC-1CT et les cellules humaines d'adénocarcinome colique Caco2, nous n'avons pas observé d'effet des SDHi sur la viabilité, la prolifération et la mort cellulaire dans les conditions testées. Par contre, les SDHi diminuent l'activité de la SDH dans la chaine respiratoire des mitochondries et augmentent le niveau de succinate, un oncométabolite impliqué dans la mise en place du phénotype tumoral dans les tumeurs liées à une inactivation génétique de la SDH. L'effet le plus marqué est observé avec le bixafen, qui induit une reprogrammation métabolique caractérisée par une glycolyse accrue et une diminution de la respiration, des caractéristiques typiques de l'effet Warburg observé dans la plupart des cellules cancéreuses. Elle s'accompagne d'une modification de la morphologie cellulaire qui reste à caractériser. En conclusion, nos résultats démontrent que les SDHi sont capables d'inhiber la SDH humaine et de reproduire au moins en partie certaines caractéristiques phénotypiques et métaboliques résultant de mutations génétiques de la SDH chez l'être humain. |